Les héritiers à titre de fard
Les héritiers sont partagés en cinq catégories :
I) Les héritiers à titre de fard (les héritiers ayants droit à une part fixe) : ce sont les héritiers prioritaires dont la part a été déterminée de façon impérative par le Coran, la Sunna du Prophète () ou l'ijma' (consensus des oulémas). Ils sont au nombre de douze et il s'agit des personnes suivantes :
Le mari, l'épouse, la fille, la fille du fils de quelque degré qu'il soit, le père, la mère, le grand-père paternel, la grand-mère, la sœur germaine, la sœur consanguine, le frère utérin et la sœur utérine.
II) Les héritiers ‘asab (par agnation) : ce sont les héritiers masculins, rattachés au défunt(e) par des parents de sexe masculin. Toutefois, la Charia octroie à des femmes la qualité d'héritiers ‘asab dans certaines circonstances que nous allons détailler dans le chapitre consacré à ces derniers. On distingue à cet effet entre trois catégories d'héritiers 'asab :
- les héritiers ‘asab par eux-mêmes : ce sont les hommes qui se rattachent au défunt directement sans intermédiaire (comme le fils, le père) ; soit par le truchement d'un homme (comme le fils du fils et le grand-père paternel) ; soit par l'intermédiaire d'un homme et d'une femme à la fois (comme le frère germain). L'oncle et le fils de l'oncle paternel sont ‘asab, alors que l'oncle maternel et le fils de l'oncle maternel ne le sont pas puisque ces derniers ne se rattachent pas au défunt par un homme.
- Les héritiers ‘asab par un autre : ce sont les femmes qui succèdent en même temps qu'un héritier ‘asab par lui-même à condition qu'il soit du même ordre et du même degré qu'elles-mêmes : la fille (avec le fils germain), la fille du fils (avec un petit-fils du même degré), la sœur germaine (avec un frère germain) et la sœur consanguine (avec un frère consanguin). Ces femmes ont besoin d'un parent homme ‘asab du même degré pour les faire entrer dans la succession.
- Les héritiers ‘asab avec un autre : ce sont les femmes héritières à titre de fard qui deviennent héritières ‘asab en présence d'une autre femme. C'est le cas de la sœur germaine ou consanguine (avec la fille ou les filles directes du défunt ou avec une ou plusieurs filles de son fils).
III) Les héritiers à double titre : fard et/ou ‘asab. Un héritier peut l’être à titre de fard et à titre de ‘asab. Exemple : Si une femme mariée à son cousin meurt, celui-ci est à la fois héritier à titre de fard en tant qu’époux et héritier ‘asab en tant que cousin.
IV) Les héritiers dhawu al-arham (par l'utérus) : ce sont les parents utérins qui ne sont ni des héritiers à fard ni des héritiers ‘asab. La succession ou ce qui en reste est dévolue à eux à défaut d’héritiers fard ou ‘asab.
V) Le Trésor public (bayt al-mâl).
Dans la première partie de cet article nous allons parler de la première catégorie à savoir les héritiers à titre de fard (ayants droit à une part fixe)
La succession est dévolue en premier lieu aux douze héritiers à titre de fard suivants :
1) Le mari
Deux situations se présentent :
a) Il reçoit la moitié si l'épouse n'a pas d'enfant ou de petits enfants issus d'un fils, quel que soit son degré de descendance. Les descendants de l'épouse dont on tient compte sont les fils et les petits enfants (de sexe masculin ou féminin), ainsi que les filles. Mais la présence de petits enfants (de sexe masculin ou féminin) issus de la fille de l'épouse n'a pas d'influence sur la part du mari.
b) Il reçoit le quart si l'épouse a un enfant ou petits enfants issus d'un fils, quel que soit son degré de descendance.
Dans les deux situations, il importe peu que le descendant de l'épouse soit du mari ou pas
2) L’épouse
Comme dans le cas précédent, deux situations se présentent :
a) Elle reçoit le quart si l'époux n'a pas d'enfant ou de petits-enfants issus d'un fils, quel que soit son degré de descendance. Les descendants de l'épouse dont on tient compte sont les fils, les filles et les enfants du fils (de sexe masculin ou féminin). Mais la présence de petits-enfants (de sexe masculin ou féminin) issus de la fille de l'époux n'a pas d'influence sur la part de l’épouse.
b) Elle reçoit le huitième si l'époux a un enfant ou petits-enfants issus d'un fils, quel que soit son degré de descendance.
Dans les deux situations, il importe peu que le descendant de l'époux soit de l'épouse ou pas. En présence de plusieurs épouses, elles se partagent le quart (dans la première situation) ou le huitième (dans la deuxième situation).
Les parts des deux conjoints sont fixées par le verset suivant : « À vous la moitié de ce qu'ont laissé vos épouses, si elles n'ont pas d'enfant. Si elles ont un enfant, à vous le quart de ce qu'elles ont laissé […]. À elles un quart de ce que vous avez laissé, si vous n'avez pas d'enfant. Si vous avez un enfant, à elles le huitième de ce que vous avez laissé […] » (Coran 4/12)
3) La fille
On entend par fille ici la fille du défunt (homme ou femme) ainsi que la fille d'un descendant sans avoir une femme entre elle et le défunt.
Trois situations se présentent :
a) Elle reçoit la moitié lorsqu'elle est fille unique du défunt et que ce dernier n'a pas laissé de fils.
b) Lorsqu'il y a plusieurs filles au défunt et que ce dernier n'a pas un fils, elles reçoivent les deux tiers.
c) Si le défunt a un fils, celui-ci rend la fille (quel que soit le nombre) une héritière ‘asab. Et dans ce cas, elle partage la succession avec le fils, celui-ci recevant le double de sa part.
4) La fille du fils de quelque degré qu'il soit
Il s'agit de la fille issue d'un fils ou d’un petit-fils du défunt. Trois situations se présentent :
a) Elle reçoit la moitié, si elle est petite-fille unique. Trois conditions sont requises :
- Absence d'une fille plus proche du défunt. Ainsi, si le de défunt a une fille et une fille du fils, c'est la fille qui a la priorité.
- Absence d'un neveu issu d’un fils du même degré que son père. La présence d'un tel neveu rend la fille du fils ‘asab. Et dans ce cas, elle partage la succession avec le neveu, celui-ci recevant une part double.
- Absence d'héritier qui l'exclut, comme un fils ou petit-fils du défunt d'un degré supérieur.
b) Si elles sont plusieurs, elles reçoivent les deux tiers, dans les conditions précédentes.
c) Elle reçoit le sixième. Si elles sont plusieurs issues de fils ayant le même degré, elles se partagent le sixième. Trois conditions sont requises :
- Présence d'une fille ou d'une petite-fille issues du fils du défunt d'un degré supérieur.
- Absence d'un homme du même degré comme un frère ou un cousin.
- Absence d'héritier qui l'exclut, comme un fils ou petit-fils du défunt d'un degré supérieur
La part de la fille est fixée par le verset suivant : « Allah vous enjoint au sujet de vos enfants: Voici ce qu'Allah vous enjoint au sujet de vos enfants : au fils, une part équivalente à celle de deux filles. S'il n'y a que des filles, même plus de deux, à elles alors deux tiers de ce que le défunt laisse. Et s'il n'y en a qu'une, à elle alors la moitié.» (Coran 4/11).
La part de la petite-fille est déduite de ce même verset, ainsi que de la Sunna du Prophète ().
5) Le père
Trois situations se présentent :
a) Il reçoit le sixième à titre de fard en présence d'un descendant masculin du défunt, quel que soit son degré (fils, petit-fils, etc.).
b) En présence d'une descendante du défunt (fille directe ou petite-fille issue d'un fils, etc.), il reçoit le sixième à titre de fard, et le reliquat à titre de ‘asab après prélèvement des parts légales des autres héritiers.
c) En absence de descendant ou descendante du défunt, il hérite à titre de ‘asab après prélèvement des parts légales des autres héritiers. Ainsi, si le défunt laisse seulement un père et une épouse, celle-ci reçoit le quart, et le père le reliquat.
6) La mère
Trois situations se présentent :
a) Elle reçoit le sixième à titre de fard en présence d'un descendant homme ou femme du défunt, quel que soit son degré. Il en est de même en présence de frères ou sœurs (germains, consanguins ou utérins) qu'ils soient héritiers ou pas.
b) En l'absence des personnes susmentionnées dans le premier point, la mère reçoit le tiers, à condition que la succession ne se réduise pas à un père, une mère, et l'un des conjoints.
c) Si la succession se réduit à un père, une mère et un(e) conjoint(e), la mère reçoit le tiers de qui reste après prélèvement de la part du conjoint/ou de la conjointe à titre de fard.
7) Le grand-père paternel
En l'absence du père, les droits de ce dernier tels qu'exposés plus haut reviennent au grand-père. Toutefois, la Charia fait une distinction lorsque le grand-père vient à la succession avec les frères du défunt (germains et/ou consanguins). Ainsi, deux hypothèses se présentent :
a) En cas d'absence du père et de frères sanguins et/ou utérins du défunt. Trois situations se présentent :
- Il reçoit le sixième à titre de fard en présence d'un descendant masculin du défunt, quel que soit son degré (fils, petit-fils, etc.).
- En présence d'une descendante du défunt (fille directe ou petite-fille issue d'un fils, etc.), il reçoit le sixième à titre de fard, et le reliquat à titre de ‘asab après prélèvement des parts légales des autres héritiers.
- En absence de descendant ou descendante du défunt, il hérite à titre de ‘asab après prélèvement des parts légales des autres héritiers. Ainsi, si le défunt laisse seulement un grand-père et une épouse, celle-ci reçoit le quart et le grand-père le reliquat.
b) En cas d'absence du père et de présence de frères sanguins et/ou utérins du défunt. Deux situations se présentent :
- Il hérite de la même manière qu’un frère lorsque les frères successibles sont ‘asab par eux-mêmes (frères seulement), ou par eux-mêmes et par un tiers (frères et sœurs) ou avec une tierce personne (la femme devenant ‘asab avec la descendante successible), après la distribution des parts à titre de fard. Ainsi, il partage la succession ou le reliquat avec les frères et sœurs successibles (l'héritier masculin aura une part double que celle de l'héritier féminin). Mais dans tous les cas sa part ne doit pas être inférieure à un sixième à titre de fard.
- Il hérite à titre de ‘asab, prenant le reliquat après prélèvement des parts des successibles à fard y comprises les sœurs. Mais dans tous les cas sa part ne doit pas être inférieure à un sixième à titre de fard.
8) La grand-mère
La grand-mère qui a droit à l’héritage est celle qui n'est pas séparée du défunt (homme ou femme), par un homme placé entre deux femmes. Il s'agit de la mère de la mère, la mère du père, la mère de la mère de la mère. Quant à la mère du père de la mère, elle est considérée comme une aïeule non véritable. L'aïeule non véritable n'est pas une héritière à fard, mais fait partie de la catégorie des héritiers dhawu al-arham (par l'utérus). Deux situations se présentent :
a) Elle reçoit le sixième à titre de fard; et si elles sont plusieurs, elles se partagent le sixième à part égale, qu'elle soit une grand-mère maternelle ou paternelle, ou paternelle et maternelle à la foi (double lien : mère de la mère qui est aussi la mère du père du père). La règle du partage à part égale s'applique même si la grand-mère paternelle-maternelle vient à la succession avec une paternelle ou maternelle. Ainsi, la règle des parts égales s'applique sans qu'il y ait lieu à privilège du double lien.
b) Elle est exclue en présence d'un ascendant plus proche du défunt, que ce soit la mère ou le père. Ainsi, la mère exclut toute grand-mère paternelle ou maternelle, le père exclut toute grand-mère paternelle, l'aïeul exclut toute aïeule qui se rattache au défunt par le lui, et enfin l'aïeule la plus proche exclut toute aïeule lointaine, qu'elle soit successible ou exclue de l'héritage.
9) La sœur germaine
On entend par sœur germaine, celle qui est issue du même père et de la même mère
Allah, exalté soit-Il, dit :
« Ils te demandent ce qui a été décrété. Dis : "Au sujet du défunt qui n'a pas de père ni de mère ni d'enfant, Allah vous donne Son décret : si quelqu'un meurt sans enfant, mais a une sœur, à celle-ci revient la moitié de ce qu'il laisse. Et lui, il héritera d'elle en totalité si elle n'a pas d'enfant. Mais s'il a deux sœurs (ou plus), à elles alors les deux tiers de ce qu'il laisse; et s'il a des frères et des sœurs, à un frère alors revient une portion égale à celle de deux sœurs. Allah vous donne des explications pour que vous ne vous égariez pas. Et Allah est Omniscient.» (Coran 4/176)
À partir de ce verset, les oulémas ont déduits que seuls la sœur germaine est héritière à fard, puisque le frère germain n'y est pas indiqué. Le frère (germain, consanguin ou utérin) fait toujours partie de la catégorie des héritiers ‘asab dont nous parlerons plus loin. Les situations suivantes se présentent :
a) Elle reçoit la moitié à titre de fard aux conditions cumulatives suivantes:
- Elle est sœur unique
- Absence d'un frère germain qui la rend ‘asab;
- Absence de descendante au défunt (fille ou/et petite-fille issue du fils).
- Elle n'est pas exclue par le père, le fils et le fils du fils à quelque degré que ce soit.
b) Si elles sont plusieurs, elles se partagent les deux tiers à titre de fard aux conditions susmentionnées.
c) Elle hérite à titre de ‘asab avec une tierce personne, lorsqu'elle est en concours avec un frère germain. Dans ce cas, l'héritier masculin aura une part double de celle de l'héritier féminin après prélèvement des parts des héritiers à fard.
d) Elle hérite à titre de ‘asab avec une tierce personne, lorsqu'elle est en concours avec une sœur germaine, une fille directe ou une fille du fils du défunt, en l'absence d'un frère germain.
e) En présence de frères utérins et de frère germains, elle partage avec eux le tiers. Cette situation particulière se présente dans le cas suivant : un époux (reçoit la moitié), une mère ou une grand-mère (reçoit le sixième), des sœurs utérines avec des frères et des sœurs germains (ils reçoivent collectivement le tiers : l'héritier masculin aura une part double que celle de l'héritier féminin). C'est ce qu'on appelle le cas collectif.
f) Elle est exclue en présence d'un descendant (fils ou du fils du fils, etc.) ou du père du défunt. Par contre, elle vient à la succession avec le grand-père paternel.
10) La sœur consanguine
On entend par sœur sanguine, celle qui est issue du même père mais non de la même mère (par opposition à la sœur utérine). Elle est régie par verset susmentionnée concernant la sœur germaine. Plusieurs situations se présentent :
a) Elle reçoit la moitié à titre de fard aux conditions cumulatives suivantes :
- Elle est sœur unique.
- Absence d'un frère consanguin qui la rend ‘asab.
- Absence de sœur germaine.
- Absence de descendante du défunt (fille ou/et petite-fille issue du fils).
- Elle est exclue par le père, le fils et le fils du fils à quelque degré que ce soit.
b) Si elles sont plusieurs, elles se partagent les deux tiers à titre de fard aux conditions susmentionnées.
c) Elle reçoit le sixième à titre de fard en vue de compléter les deux tiers aux conditions cumulatives suivantes:
- Présence d'une sœur germaine unique.
- Absence d'un frère consanguin qui rend la sœur consanguine ‘asab.
- Absence d'un frère germain qui rend la sœur germaine ‘asab et l'exclut.
- Absence d'une fille ou d'une fille du fils du défunt.
S'il y a plusieurs sœurs consanguines, elles se partagent le sixième.
d) Elle hérite à titre de ‘asab avec une tierce personne, lorsqu'elle est en concours avec un frère consanguin. Dans ce cas, l'héritier masculin aura une part double que celle de l'héritier féminin après prélèvement des parts des héritiers à fard.
e) Elle hérite à titre de ‘asab avec une tierce personne, lorsqu'elle est en concours avec une sœur consanguine, une fille directe ou une fille du fils du défunt, en l'absence d'un frère consanguin.
f) Elle est exclue de la succession en présence d'un descendant (fils, fils du fils, etc.) ou du père du défunt, d'un frère germain ou d'une sœur germaine devenue ‘asab avec un autre. Si par contre la sœur consanguine a un frère consanguin, elle devient ‘asab, et partage avec lui le reliquat de l'héritage après le prélèvement des parts des héritiers à fard.
Par contre, elle vient à la succession avec le grand-père paternel.
11) et 12) Le frère utérin et la sœur uterine
On entend par frère utérin et sœur utérine, la personne qui est issue de la même mère mais non du même père (par opposition au frère consanguin et à la sœur consanguine).
La règle en droit musulman est que les personnes reliées au défunt par un intermédiaire n'héritent pas en présence de cet intermédiaire, toutefois, le droit musulman a admis que les frères utérins et les sœurs utérines héritent même en présence de leur mère. On invoque ici le verset : « Et si un homme, ou une femme, meurt sans héritier direct, cependant qu'il laisse un frère ou une sœur, à chacun de ceux-ci alors, un sixième. S'ils sont plus de deux, tous alors participeront au tiers» (Coran 4/12). Les oulémas estiment que ce verset indique les frères et sœurs utérins. Ce verset établit une égalité entre les deux sexes dans ce cas de figure. Trois situations se présentent :
a) Le frère utérin ou la sœur utérine, à condition d'être unique, reçoit le sixième à titre de fard, à condition qu'il n'y ait ni aïeul homme et ni descendant (homme ou femme) à quelque degré que ce soit.
b) En cas de présence de plusieurs frères ou/et sœurs utérins, ils se partagent le tiers à parts égales sans considération de sexe.
c) Les frères et sœurs utérins sont exclus par la présence d'un grand-père ou/et d'un descendant (homme ou femme) à quelque degré que ce soit. Ils ne sont par contre pas exclus par la présence de leur mère.