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Le concept de la majorité selon l’Islam et selon la démocratie

Le concept de la majorité selon l’Islam et selon la démocratie

La "majorité" et la "plupart" sont deux mots synonymes qui renvoient à un sens unique qui est l’idée du plus grand nombre, à l’opposée on trouve le concept de minorité. La majorité et la minorité sont deux antonymes, mais aucun de ces deux termes ne renvoie de manière absolue à la vérité ou au faux. La majorité n’est pas un critère de vérité comme la minorité n’est pas fatalement dans l’erreur, le contraire de cette proposition est également valable, la majorité n’est pas forcément synonyme d’erreur de même que la minorité n’est pas obligatoirement dans le vrai.
Néanmoins, la majorité a souvent raison et est sur la position en laquelle il convient d’avoir confiance. Notons qu’étant donné que la démocratie se fonde sur l’idée que la majorité est un critère de vérité et la cause tangible du respect des règles, une large frange des islamistes rejettent catégoriquement ce concept de « majorité » et dénigrent ceux qui s’en réfèrent. Cette partie des islamistes considère que celui qui fait de ce concept sa référence est un partisan du courant démocratique qui distille une pensée erronée et fausse au sein des musulmans. Remarquons que l’emploi de ce concept par les gens de l’erreur dans leur propagande et sa diffusion dans le monde des idées ne doivent pas nous inciter à ne pas l’employer quand celui-ci renvoie à ce qui est vrai et juste, nous devons juste faire très attention à ce qu’à travers ce concept ne pénètrent pas dans nos conceptions les idées fausses qui sont employées dans sa diffusion.
Lorsque nous observons attentivement ce concept de majorité, nous trouvons que les gens de science y font référence dans leurs propos de manière prudente et conforme, que ce soit directement en utilisant le terme ou bien seulement en évoquant son sens, ce qui nous incite à avoir un rapport serein avec ce concept sans appréhension ni susceptibilité exacerbées, de même que nous ne devons pas penser qu’il se réfère obligatoirement à un domaine de connaissance contredisant ce que nous commande de faire ou de croire la religion du Seigneur des mondes.
Il est essentiel de noter qu’il existe des cas juridiques définis par la Charia qu’il est impossible d’appliquer dans certaines situations si on ne prend pas en considération les propos ayant trait au concept de majorité, et notamment au concept de chûrâ (le conseil décisionnel islamique). Rappelons qu’Allah loue la pratique de cette dernière par les croyants, ainsi Il dit dans le Noble Coran : « Et qui se consultent entre eux à propos de leurs affaires ». Toutefois, si les musulmans se consultent entre eux pour une affaire donnée et qu’ils en viennent à se diviser en deux groupes ou plus à propos de cette dernière, quelle est donc la solution ?
Si le Coran et/ou la Sunna donne une solution claire au problème posé par cette affaire, alors il est évident que c’est le groupe qui s’appuie sur le texte en question qui est dans le vrai, et ce, même si ce « groupe » est constitué d’une seule personne, il sera donc obligatoire de se soumettre à cet avis étayé par les textes. Cette parole correspond à l’interprétation des gens de science concernant l’ordre émis incitant les musulmans à suivre la Djamâ’a (la Communauté) ou la majorité ; toutefois, le but ici n’est pas de suivre systématiquement le plus grand nombre qu’il soit dans le vrai ou non, mais plutôt de suivre la Vérité. A ce propos, ‘Abdallah ibn Mas’ûd (Radhia Allahou Anhou) a dit : « La Djamâ’a suit toujours la Vérité, quand bien même elle n’est constituée que d’une seule personne ».
Mais si pour un problème donné les musulmans ne peuvent trouver une réponse tranchée dans les textes, que faire ?
Nous ne pouvons mener à bien la procédure de la Chûrâ que si nous approuvons l’avis majoritaire. Nous pouvons être confrontés à ce type de situation problématique et apparemment inextricable pour une question fondamentale telle que celle de la nomination ou désignation du Calife. Il est défini dans la jurisprudence de la politique légale (al-siyâsa al-char’iyya) que c’est aux dirigeants de confier la souveraineté au Calife, de même que la jurisprudence stipule bien que lors de cette procédure d’investiture l’unanimité des dirigeants n’est pas une condition nécessaire ; cependant, si ces dirigeants n’arrivent pas à se mettre d’accord pour désigner la même personne et qu’un groupe d’entre eux est favorable à une personne alors qu’un autre groupe est favorable à une seconde personne, alors la solution est que soit désignée Calife la personne choisie par le groupe qui rassemble le plus grand nombre de dirigeants.
C’est pour cette raison que nous trouvons dans certaines paroles des gens de science l’idée que la procédure d’investiture du Calife « ne peut être effective que si ce dernier a recueilli le soutien de la majorité des dirigeants, toutes contrées confondues ». A ce propos, il ne faut pas voir dans la décision de ‘Umar (Radhia Allahou Anhou) que le calife qui doit lui succéder ne doit être que l’une des six personnes ayant obtenues le consentement du Prophète () avant sa mort une mesure venant de son propre chef. Voici ce que nous dit Ibn Sa’d dans ses Tabaqât concernant cet épisode : « ‘Umar ibn al-Khattâb a dit ceci à ces six Compagnons constituant la Chûrâ : réunissez-vous pour délibérer sur cette affaire, si vous arrivez à deux contre deux réunissez-vous de nouveau, si vous arrivez à quatre contre deux alors prenez l’avis du groupe le plus nombreux ».
Voici donc ce que signifie le fait de s’appuyer sur la majorité, et dans une autre version ‘Umar ibn al-Khattâb a dit : « Si vous arrivez à trois contre trois, suivez donc l’avis du groupe dans lequel il y aura ‘Abd al-Rahmân ibn ‘Awf, écoutez et obéissez ! ». Cela signifie que dans le cas où ne se seraient pas dégagées une majorité et une minorité, mais que deux parties se seraient trouvées à égalité, alors il aurait fallu se plier à la décision du groupe dans lequel se serait trouvé ‘Abd al-Rahmân ibn ‘Awf. C’est ce qu’on appelle une prévalence par une voix prépondérante dans le cas où ni une majorité ni une minorité n’arrivent à se dégager.
Dans son livre I’lâm al-mawqi’în, Ibn al-Qayyim rapporte une parole d’al-Bayhaqî sur les questions qui ont divisé les Compagnons : « S’ils se sont divisés sur un point sans qu’aucun d’entre eux n’apporte une preuve, alors il faut choisir l’avis de la majorité ». C’est-à-dire que si aucune des personnes divisées sur une question n’apporte de preuve sur laquelle appuyer son avis afin d’emporter le débat, alors il faut se rabattre sur l’avis majoritaire.
Notons que le fait de se rabattre sur l’avis majoritaire a dépassé le cadre de ce type d’affaires ; en effet, les oulémas ont été jusqu’à se servir de cette règle pour le cas de ceux qui dirigent la prière dans les mosquées dites « familiales », c’est-à-dire les mosquées qui ont été construites par les gens d’un même quartier ou d’une même tribu dans la rue ou l’endroit où ils résident. Selon al-Mâwardî : « Si les gens d’une mosquée se divisent sur le choix de l’imam, alors ils doivent suivre la parole majoritaire ». Voir également l’interprétation du hadith : « Celui qui guide la prière de gens qui ne veulent pas de lui… ». A propos de ce hadith, Ibn Qudâma a dit dans son Mughnî et dans d’autres ouvrages également : « Ahmed, qu’Allah lui fasse miséricorde, a dit : « S’il n’y a qu’une seule personne qui ne veut pas de l’imam, ou même s’ils sont deux ou trois à le détester, alors il n’y a pas de problème, et ce, jusqu’à ce que cet imam soit rejeter par la majorité, dans ce cas il doit être remplacé ». Notons qu’Ahmed, qu’Allah lui fasse miséricorde, n’a pas tenu compte du fait que l’imam soit haï pas la minorité et a exigé qu’il le soit par la majorité pour juger obligatoire le fait de le remplacer.
De son côté, Ibn Hadjar a commenté le hadith qui interdit aux gens de se rendre dans un endroit où règne la peste comme il interdit à ceux qui s’y trouve d’en sortir. Il est à noter que les Compagnons ont divergé sur l’attitude à suivre vis-à-vis de la peste qui est apparue dans la région de ‘Amwâs (Emmaüs). Ibn Hadjar a dit : « C’est la prévalence du plus grand nombre et de ceux dont l’expérience était la plus grande qui a convaincu ‘Umar de rebrousser chemin face à cette épidémie et donc de retourner à Médine. Ceux des Muhâdjirûn et des Ansâr qui étaient pour un retour à Médine étaient plus nombreux que ceux qui parmi ces deux groupes souhaitaient continuer vers ‘Amwâs, ‘Umar a donc penché pour l’avis de la majorité ». Et lorsqu’Abû ‘Ubayda dit à ‘Umar : « Fuis-tu le destin écrit par Allah ? », ce dernier lui répondit : « Mais bien sûr ô Abâ ‘Ubayda, nous fuyons du destin d’Allah vers le destin d’Allah. Tu vois, si tu as un troupeau de chameaux qui descend une vallée à deux versants l’un fertile et l’autre non fertile. Si tu les mènes brouter le fertile ce sera par le destin d’Allah et si tu les mènes brouter le non fertile ce sera aussi par le destin d’Allah ».
Si nous scrutons la Sîra du Prophète (), nous découvrons par exemple que lors de l’expédition d’Uhud les musulmans divergèrent sur un point important : devaient-ils attendre que les polythéistes viennent jusqu’à Médine pour les combattre là-bas, et ceci était l’avis du Prophète () et d’une partie des croyants, ou bien, devaient-ils, selon un second avis, sortir à la rencontre de l’ennemi afin de l’affronter hors de Médine ? A ce propos, Ibn Kathîr a dit : « Le groupe prônant le combat hors de Médine était majoritaire (Fa achâra djumûruhum bilkhurûdj ilayhim), par conséquent les musulmans sortirent de la ville pour affronter les polythéistes ». Voila ce que signifie le fait de se conformer à l’avis du djumhûr, ce dernier terme qui est employé par Ibn Kathîr et qui signifie « foule, multitude ou masse » est un synonyme du mot « majorité ».
Il nous faut cependant faire quelques remarques. D’abord, il est nécessaire de rappeler qu’il est permis de s’appuyer sur la majorité lorsqu’il n’y a pas une personne aux qualités supérieures pouvant trancher comme c’est le cas du prince (ou chef politique) pieux et savant. Et dans le cas où le prince est absent et ne peut donc pas trancher l’affaire, comme lors du choix d’un imam, alors c’est l’avis du plus grand nombre qui prime ; en revanche, si le prince est présent, alors son avis sur des questions nécessitant un effort d’interprétation jurisprudentielle (masâ`il al-idjtihâd) prime sur tous les autres avis, qu’ils fussent minoritaires ou majoritaires.
Un commentateur de la Tahâwiyya a dit : « Le Coran et la Sunna ainsi que le consensus des Pieux prédécesseurs de cette Oumma nous montrent que le prince, l’imam, le gouverneur, le chef de guerre et le collecteur de l’aumône légale doivent tous être obéis dans le cas où doit être mené un effort d’interprétation jurisprudentielle, ces derniers n’ont absolument pas à se soumettre à l’avis de ceux sur lesquels ils ont autorité, lesquels leur doivent obéissance et sont sommés d’abandonner leur avis personnel pour se conformer à l’avis de celui du prince, de l’imam, etc. ».
Ensuite, il est possible de s’appuyer sur la majorité si celui à qui revient normalement la décision finale donne son autorisation pour le faire. C’est exactement ce qui s’est passé lors de l’expédition d’Uhud lorsque le Prophète () a abandonné son choix personnel (combattre l’ennemi à Médine) pour suivre l’avis de la majorité, comme l’a très bien montré Ibn Kathîr, qu’Allah lui fasse miséricorde.
Malgré quelques similitudes, nous faisons remarquer qu’il subsiste une différence fondamentale entre le concept de majorité en Islam et le concept de majorité en démocratie. Ainsi, en Islam, le concept de majorité est toujours employé sous le contrôle de la Charia, il ne peut pas déterminer ce qui est vrai ou obligatoire, car seule la Charia peut le faire ; ce concept est donc employé pour faire appliquer ce qui est déjà défini légalement ou pour trancher dans des affaires. Pour ce qui est du concept de majorité dans le cadre de la démocratie, il dépasse largement le rôle que joue son pendant islamique au point que c’est la majorité qui dit ce qui est « vrai » et « juste », et ce, même si ce cela est contraire à la Vérité. Par ailleurs, en Islam, le concept de majorité prend en considération le fait que certains de ceux qui doivent donner leur avis ont des qualités et aptitudes particulières liées au sujet débattu, ce qui donne à leur voix une légitimité et une force supérieures à celle des autres ; à l’inverse, en démocratie, la majorité est purement numérique et les qualités particulières qui pourraient rendre plus légitimes certains votants pour s’exprimer sur un sujet donné sont totalement ignorées.
Il se peut qu’un contradicteur s’oppose à ce que nous avons développé dans ce présent article en s’appuyant sur des versets coraniques du type de celui-ci : « Mais certes la plupart des gens ne savent pas ». Toutefois, si nous méditons un instant sur les sujets traités par ces versets, il apparaît clairement qu’il n’y aucun désaccord ou contradiction entre ce que nous avons dit plus haut et le contenu de ces nobles versets. En effet, ces versets évoquent cette idée de « majorité » (akthar al-nâs) en visant particulièrement des peuples précis ou bien en tenant compte de conditions particulières ou liées à un domaine de connaissance défini. Nous n’allons pas nous étendre dans ce présent article sur ce qu’ont voulu dire exactement les versets en question, néanmoins, une chose est sûre, ces versets n’ont pas le sens général que certains ont voulu leur donner. Si tel avait été le cas, ces versets auraient visé l’ensemble des gens, ce qui implique de les appliquer aux Compagnons (Radhia Allahou Anhoum) ! Serait-il sensé qu’un musulman affirme que les Compagnons du Prophète () sont concernés par le verset suivant : « Mais certes la plupart des gens ne savent pas » ou celui-ci : « Mais certes la plupart des gens ne remercient pas [Allah] », etc.
Nous espérons sincèrement que ce qui a été dit dans cet article aide les musulmans à manipuler ce concept de majorité de manière correcte.
 

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