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Aicha la mère des croyants II

Aicha la mère des croyants II

 

Aicha la mère des croyants, une femme à la culture encyclopédique

L’exploitation de ses capacités

Mais la personne dont Aisha était la plus jalouse fut Khadija. Et ce, bien qu’elle n’ait jamais vécu à son époque. Ce hadith consigné par Ahmad et Tabarâni selon leurs versions résument ce fait tel que le rapporte Aisha : « Le Prophète, , ne sortait quasiment jamais de chez lui sans mentionner Khadija et en disant du bien d’elle. Un jour, il parla d’elle et je fus prise de jalousie. Je dis alors : N’était-elle pas qu’une vieille femme qu’Allah, en contrepartie de sa perte, t’en a donné une meilleure ? » Elle visait sa propre personne à travers cette expression.

Aisha savait bien qu’elle ne pourrait gagner le cœur du Prophète, , et concurrencer Khadija pour ce qui est de son pur sentiment d’affection la concernant. Elle savait bien qu’il était accroché à elle par l’amour et l’admiration qu’il avait à son égard. Partant, elle décida d’acquérir toutes les qualités qui lui permettraient de gagner son admiration. Elle décida d’apprendre le savoir religieux en s’abreuvant à la source prophétique jusqu’à ce que son mari ressente que, malgré la primauté de Khadija au vu de l’aide qu’elle lui a apporté et du soutien qu’elle a constitué pour lui afin qu’il puisse transmettre son message, elle était capable de rejoindre son rang en mémorisant la teneur de son message et en transmettant ses enseignements aux gens.

Quant à son ardeur et sa témérité, elle la tenait de son père. Que pensez-vous d’une ardeur que même un homme comme Omar ibn Al-Khattâb (23 H.) redoute. Il dit : ‘ Je prenais en considération l’ardeur que je trouvais chez Abu Bakr.’ C’est cette ardeur qui l’a poussée à tenir les propos suivants, quand sa mère lui demanda de se lever pour le Prophète, , et de le remercier en raison de la bonne nouvelle qu’il venait lui annoncer, la révélation de son innocence suite aux accusations des calomniateurs. Elle dit : « Par Allah, je ne me lèverais pas pour lui, et je ne remercie qu’Allah. » (Boukhari).

Personne ne pouvait lui faire face ou la faire taire quand elle était pleine d’ardeur. Dans les recueils de Boukhari et Mouslim, un hadith relate que les épouses du Prophète, , envoyèrent Fatima (11 H.) puis son épouse Zaynab, lui demandait de se comporter avec elles comme il le faisait avec Aisha. Mais Zaynab ne tarda pas à parler en mal de Aisha et lui manquer de respect. Aisha regardait le Prophète, , et quand elle vit qu’il ne répugnait pas à ce qu’elle se défende, elle lui répondit avec force et lui cloua le bec. Elle le rapporte ainsi : « Quand j’ai répondu à ses attaques je ne tardai pas à la terrasser. » Le Prophète, , souri et dit : « C’est la fille d’Abu Bakr » !! par admiration pour ‘ sa parfaite compréhension des choses et sa juste appréciation’ comme l’explique al-Nawawi (676 H.) dans son Sharh Mouslim.

Aisha a su transformer cet aspect de sa personnalité en une aptitude à transmettre le savoir. Ce fut d’ailleurs un des principaux supports de son esprit critique et des divergences qui l’opposaient aux compagnons sur des questions théologiques. C’est aussi ce qui lui permit de rapporter toutes les spécificités de sa vie avec le Prophète, , sans qu’aucune timidité ne l’empêche de transmettre tous les sens que cela implique alors que d’autres auraient hésités à le dire. C’est pourquoi elle raconte que le Prophète, , embrassait ses épouses, et leur suçait la langue. C’est ce qui est rapporté dans le livre Sunan d’Abû Dâwûd (275 H.) : « Quand il embrassait ses épouses, le Prophète, , leur suçait la langue. »

Elle parlait d’elle-même dans ce hadith, comme le dit l’imam Ibn Al-Qayyim (751 H) dans son livre Al-Tibb Al-Nabawî : ‘ Le Prophète, , jouait avec ses épouses, et les embrassait. « Il embrassait Aisha et lui suçait la langue. » comme le rapporte Abû Dâwûd dans son ouvrage Sunan. De même, elle rapporte qu’il lui est arrivé de faire la course avec le Prophète, , et qu’elle le gagnait étant jeune car elle était fine. Elle dit à ce sujet : « jusqu’à ce que je prenne du poids et il me défia à la course et me gagna. » (Ahmed et Abû Dâwûd).

Une largesse d’esprit

Etant donné que nous parlons des caractéristiques de la personnalité de Aisha, il convient d’en mentionner une qui est tout à fait singulière. Il s’agit de sa capacité à contrôler ses sentiments humains. Nous entendons par là son aptitude à maitriser son ressenti et son affection pour autrui, et à déterminer où s’arrête l’émotionnel pour laisser place au rationnel. Il n’y a pas de preuve plus claire que la façon dont elle parlait de Ali ibn Abi Talib pour lequel elle avait un ressentiment suite à la position qu’il prit envers elle quand le Prophète, , le consulta lors de l’épisode de la calomnie dont elle fut l’objet. Ali lui avait conseillé de la divorcer. Suite à cela, elle préférait ne pas citer son nom explicitement. Malgré tout, lorsqu’il était question d’un point de la religion, elle renvoyait les gens vers lui car elle savait qu’il détenait un savoir et une parfaite religiosité. Selon Shurayh ibn Hâni Al-Madhhijî (78 H.) : « J’ai interrogé Aisha au sujet de l’essuyage des chaussons et elle me dit : Demande à Ali car il connait mieux que moi cette question. » (Mouslim).

Aisha n’avait pas non plus oublié l’attitude de Hassân ibn Thâbit (54 H.) lors de l’épisode de la calomnie. Ce dernier lui présenta ses excuses et loua ses mérites par la suite. Malgré cela, elle ne ressentait aucune gêne à mentionner ses mérites et sa défense du Prophète, . Un jour, son neveu ‘Urwa ibn Al-Zubayr insulta Hassân en sa présence et elle dit : « Ne l’insulte pas car il prenait la défense du Prophète. » (Boukhari). Un jour, ‘Urwa et Marwan ibn Al-Hakam (65 H.) se concurrençaient via des joutes poétiques. Et bien que ‘Urwa était un de ses proches, elle jugea que Marwan avait de meilleures aptitudes poétiques. Ainsi, la pondération était une qualité de Aisha et une manière d’agir à laquelle elle ne dérogeait pas.

De sa grande intelligence, résulte une connaissance de la valeur de chaque homme et un avis précis sur le rang de chacun d’entre eux. Abu Shuja’ Al-Dilmî (509H.) rapporte dans son Musnad Al-Firdaws qu’elle dit : ‘ Embellissez vos assises en parlant de Omar’ soit ibn Al-Khattâb. Elle dit aussi, selon ce que rapporte Abu Ya’la Al-Mawsilî dans son Musnad : ‘ Il y a trois hommes des Ansars, de la tribu des Bani Abd Al-Ashhal dont personne ne peut se prévaloir de leurs mérites après le Prophète : Sa’d ibn Mu’adh, Usayd ibn Hudayr et ‘Abbâd ibn Bishr.’ Aussi, malgré ses nombreuses divergences avec Abu Horayra (59 H.) sur des questions religieuses, elle veillait à respecter son rang scientifique et ses mérites. Elle a même recommandé que ce soit lui qui dirige la prière sur sa dépouille à sa mort.

La vie de cette femme savante et à la culture encyclopédique se caractérise par un autre aspect. Elle se tenait à l’écart de toute attitude visant à se donner une image comme on a pu le constater par la suite dans les milieux scientifiques des différentes contrées de l’islam. Elle ne s’efforçait pas de paraître comme une femme savante en adoptant une attitude contre nature. Bien que les compagnons se bousculaient auprès d’elle pour apprendre certains points de la religion, elle n’éprouvait aucune gêne à parler tout simplement de fait qui relève de sa nature féminine. Elle dit, comme le rapporte Dhahabi dans son Siyar : ‘ Le Prophète, , est venu me voir un jour où il était censé aller auprès d’une autre de ses épouses pour me demander du savon. Il tapa à la porte. Je l’entendis et allais lui ouvrir. Il me dit : Tu ne m’as pas entendu taper à la porte ? Si lui dis-je mais je voulais que les femmes sachent que tu es venu chez moi un jour où tu étais censé aller chez une autre épouse !! »

 Ayant passé toute son enfance dans un environnement islamique, elle était très ouverte au niveau de ses relations sociales et notamment avec les membres d’autres religions. Des femmes de religion juive venait la voir lui tenir compagnie et discutait avec elle. Il pouvait arriver qu’elles les soignaient ou les exorcisaient. Mais dès qu’il s’agissait d’un sujet en lien avec la religion, sa sensibilité et son esprit critique se mettaient en marche. L’imam Malik (79 H.) rapporte dans son Muwatta qu’Abu Bakr entra chez elle alors qu’elle se plaignait et une juive se trouvait auprès d’elle en train de l’exorciser. Abu Bakr lui dit : ‘ Exorcise-la avec le livre d’Allah.’ Dans le recueil de Mouslim (261 H.), selon Aisha : « Deux vieilles dames juives de Médine sont venus me dire que les gens, dans leurs tombes, sont châtiés. Elle dit : Je ne les ai pas crues … »

Dans son Shu’ab Al-Imân, Bayhaqi (458 H.) rapporte de ‘Urwa selon Aisha : « Le Prophète, , m’a dit : Rappelle-moi les deux vers qu’avait dit le juif. Elle dit : Untel le juif a dit : Relève une personne faible et que sa faiblesse ne te confonde pas … un jour la situation changera … il s’en rappellera et te louera … Celui qui te loue pour tes actes est quitte avec toi. »

Ses aptitudes scientifiques

Voyons maintenant ce qu’il en est de son savoir et de ses aptitudes à comprendre les textes du Coran et de la Sunna et à en déduire des règles ainsi que les aspects de la jurisprudence par lesquels elle se distingue dans sa façon de délivrer des fatwas. Dans son livre I’lâm Al-Muwaqqi’în, Ibn Al-Qayyim, qu’Allah lui fasse miséricorde, a mis en évidence son rang particulier parmi ceux des plus grands compagnons qui émettaient des fatwas : ‘ On recense plus de 130 compagnons qui émettaient des fatwas, hommes et femmes confondus. Sept d’entre eux se distinguaient par le nombre important de leurs fatwas. Omar ibn Al-Khattâb, Ali ibn abi Talib, Abdullah ibn Mas’ûd, Aisha la mère des croyants, Zayd ibn Thâbit, Abdullah ibn Abbâs et Abdullah ibn Omar.’

Dans son Sunan, Tirmidhi (279H.) rapporte qu’Abu Moussa Al-Ash’arî a dit : ‘ Aucun hadith ne nous – les compagnons du Prophète – posait un problème sans en demander à Aisha le sens et trouver auprès d’elle sa signification.’ Et selon les statistiques que Dhahabi nous a présenté dans son Siyar, Aisha a rapporté un total de 2210 hadiths. 174 d’entre eux sont reconnus authentiques par Boukhari et Mouslim. 54 par Boukhari seulement et 69 par Mouslim seulement.

Aisha s’est opposée aux plus grands compagnons en les reprenant sur 61 questions de la religion. Elle n’était pas d’accord avec Abu Horayra sur 13 hadiths. Avec Abdullah ibn Omar sur dix questions. Puis, Omar ibn Al-Khattâb et Ibn Abbâs, elle divergeait sur 8 questions avec chacun d’entre eux. Et le reste des questions se répartissent entre les autres compagnons. La chercheuse Fatima Qashûrî a recensé les questions et les hadiths dont il est ici l’objet dans son livre intitulé : Aisha fî Kutub Al-Hadith Wa Al-Tabaqât. Avant elle, des savants avaient écrits sur ce thème. Notamment Abu Mansûr Al-Baghdâdî Al-Tâjir (489 H) dans un livre qui ne nous ait pas parvenu. Et aussi, l’imam Zarkashî (794 H) dans un livre intitulé Al-Îjâba Li-Îrâd Ma-Stadrakathu Aisha ‘Ala Al-Sahâba.

Aisha était consciente qu’elle représentait le réservoir de connaissance de la voie prophétique. Et que les gens avaient donc le plus grand besoin d’elle vu qu’elle était en quelque sorte l’imam et la savante parmi les femmes. Et aussi, parce que de nombreuses questions de jurisprudence relatives aux femmes échappaient aux muftis et aux savants du genre masculin. C’est pour cela qu’elle s’est empressée de critiquer Abdullah ibn Amr ibn Al-‘Âs quand il a émis une fatwa qui ne relevait pas de sa spécialité et dont les détails lui échappaient. Les femmes auraient eu à supporter certaines difficultés si elles l’avaient mise en pratique. Elle dut donc se mettre en avant pour mettre à mal sa fatwa en indiquant la gêne que cela impliquait.

Dans son recueil, Muslim rapporte que Aisha apprit que Abdullah ibn Amr ibn Al-‘Âs ordonnait aux femmes lorsqu’elles procédaient aux grandes ablutions de défaire les nattes de leurs cheveux. Elle réagit ainsi : C’est bien étonnant de la part de ce Ibn ‘Amr ! Il ordonne aux femmes de défaire leurs nattes quand elles se lavent. Et pourquoi ne leur demande-t-il pas de se raser la tête ?! Je me lavais avec le Prophète dans un seul récipient et je ne faisais rien de plus que de me verser de l’eau sur la tête à trois reprises. »

Précisions et rectifications

Aisha avait une méthodologie pour émettre des fatwas qui consistait à recherchait les raisons qui sous-tendent aux règles religieuses et à leurs objectifs. Concernant les questions de jurisprudence, sa méthodologie prenait en considération les questions liées aux femmes et les jugeait en toute équité notamment pour les points qui échappaient aux hommes où qu’ils ne pouvaient prendre en ligne de compte puisqu’il s’agissait de particularités strictement féminines.

Parmi ces questions, on compte celle précitée, la fatwa de Abdulla ibn ‘Amr qui exigeait que les femmes défassent les nattes de leurs cheveux pour se doucher. Aisha émit aussi une fatwa stipulant qu’il n’était pas une condition pour que la femme voyage qu’elle soit accompagnée d’un membre de sa proche famille (un Mahram). Elle avait compris du hadith qui exigeait que la femme voyage avec un Mahram que cela était lié au fait qu’elle voyage en sécurité et que l’objectif était que la femme arrive à destination sans encombre. Et non pas parce que la femme n’est pas capable de voyager. Ibn Abi Shayba (235 H.) rapporte dans son Musannaf : ‘ On mentionna en présence de Aisha que la femme n’a pas le droit de voyager sans Mahram et elle dit : ‘ Toutes les femmes ne sont pas en mesure de trouver un Mahram.’

Dans la même optique, sa position par rapport au deuil de la veuve. Alors que de nombreux compagnons sont d’avis que la veuve doit observer la période de deuil chez son défunt mari, Aisha disait que : ‘ Il est permis à la veuve d’observer le deuil où elle le souhaite.’ Comme cela est rapporté par Ibn Abi Shayba dans son Musannaf. Sa Fatwa reposait sur l’argumentation suivante : le Coran n’a pas spécifié un endroit pour le deuil alors qu’il a spécifié un temps précis.

 Aisha s’est aussi opposée aux compagnons dans leur compréhension littéraliste du hadith relatif à l’interdiction de s’épiler les sourcils et de modifier la création d’Allah. Les compagnons interdisaient à la femme d’ôter le moindre poil de son corps ou de son visage. De son côté, Aisha considérait, au vu de son goût féminin, qu’ôter quelques poils du corps ou du visage n’était pas inclus dans le statut de la modification de la création d’Allah ni ne participait à tromper un prétendant souhaitant demander la main d’une femme. Pour elle, cela n’était autre qu’une question d’hygiène corporelle et d’esthétique que les femmes abordent selon la nature qui est la leur. Quand on l’interrogeait sur cette question elle disait : ‘ Ôte tout ce qui est nuisible et fais toi belle pour ton mari.’ (Abd Al-Razzâq dans Al-Musannaf). Dans les recueils de Boukhari et Mouslim, selon Abu Horayra et Ibn Omar, le Prophète, , a dit : « Que le corps de l’un d’entre vous soit plein de pus et de sang et préférable à ce qu’il soit plein de shi’r (poésie). » Mais Aisha rectifia et dit : « Abu Horaya n’a pas bien mémorisé le hadith, il a dit : que son for intérieur soit plein de poème qui me dénigre. »

Aisha s’immergeait dans les significations et la compréhension des hadiths et leurs contextes. C’est pourquoi elle considérait qu’émigrer en terre d’islam n’était lié qu’à une époque durant laquelle les musulmans étaient opprimés. Abd Al-Razzâq Al-San’ânî dans Al-Musannaf rapporte qu’on lui posa la question : ‘ Quand doit-on émigrer (faire la Hijra) ? Elle dit : Il n’y a plus de Hijra depuis la conquête de La Mecque. La Hijra était en vigueur avant la conquête de La Mecque quand le musulman fuyait avec sa religion vers le Messager d’Allah. Depuis la conquête de La Mecque, un homme peut adorer Allah où il veut il ne s’égarera pas.’

 

Quand les gens ont polémiqué au sujet du caractère obligatoire du bain rituel le vendredi elle mit en exergue le contexte du hadith : « Les compagnons travaillaient pour gagner leur vie. Ils pouvaient dégager des odeurs désagréables. On leur suggéra de se doucher. » (Boukhari). Elle expliqua donc que cela était une directive qui fut adressée à ceux d’entre eux qui se rendaient à la mosquée depuis leur lieu de travail et dont l’activité impliquait que leur corps et leur vêtement changeaient d’odeur. Et ce, pour qu’ils ne nuisent pas aux fidèles venus prier à la mosquée.

 

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